A propos de Sandwich, article de Jean-Pierre Thibaudat

2 Fév 2017 | L'actualité

Dans l’histoire du quotidien  Libération, et singulièrement depuis sa parution vraiment quotidienne qui n’intervient qu’en 1977, la publication de petites annonces gratuites a été une des clefs de son succès à la fin des années 80. Gratuites, les petites annonces furent un lieu d’expression, de rencontres, de solidarités. Des annonces culs à la rubrique taulards, l’étendue fut large et sans limites, certaines annonces relevant du cadavre exquis , d’autres tartes ou verbeuses étant impérativement sanctionnées par les NDLC (Note  De La Claviste), les clavistes tapant le texte des annonces  comme elles tapaient les articles journal (et ne se privaient pas non plus d’intervenir lorsqu’elles trouvaient l’article chiant).

Devant l’afflux exponentiel des annonces, le quotidien allait créer un supplément du samedi qui les regrouperait toutes et ce fut donc « Sandwich », glissé comme une tranche de jambon dans le numéro du week-end, dirigé par Jean-Luc Hennig. L’expérience allait durer moins de trois ans et disparaître après la naissance du « Libé 2 » entre les deux tours des élections  présidentielles du printemps 81, sonnant la fin du Libé utopique (qui s’était auto suicidé à la suite d’un vote collectif  en décembre 80) : sans actionnaires, sans pub, avec un salaire unique de la claviste à la rédaction en chef et des annonces gratuites. Avec des petites annonces devenant payantes « Sandwich » était condamné.

L’idée du collectif F71 de faire un spectacle en feuilletant  « Sandwich » est juste à plusieurs titres.

Le groupe creuse plus avant le terreau Foucault (qui le vit naître), via le GIP et les annonces Taulards, via son approche de la sexualité et les annonces cul.

Le groupe trouve dans les annonces de « Sandwich » l’expression d’une parole sans complexe, libre, libérée de tout tabou, bourrée d’utopie immédiate, de poésie impromptue , de jaillissements-haïku, etc. D’où l’idée d’en faire une traversée swing, rythmée, musicale. Que la musique, (très présente dans les annonces et les pages culture de Libé), soit  d’autant plus libre que « live », constituant une  ligne de fond et de force  continue  du spectacle-concert.

Dernière idée, celle d’associer  la musique et les mots à une expression graphique. Ce fut effectivement un point fort de « Sandwich » et du premier Libé : l’intervention graphique du groupe Bazooka par exemple, des BD-feuilletons occupant une page entière, l’appel à beaucoup de dessinateurs et chahuteurs de pages. On retrouve logiquement cela  dans  le projet « Sandwich » du collectif F71, c’est d’ailleurs une dimension qui traverse souvent leurs spectacles.

« Sandwich » fut donc présenté un seul soir dans ce beau lieu musical de Montreuil  qu’est la Marbrerie.

Un « one shot » plein de peps,  gros des intuitions d’un spectacle à venir. Dans un pays de plus en plus replié sur lui même et sensible aux sirènes du sécuritaire, de la normalisation en tout,  du politiquement et du sexuellement correct,  « Sandwich » (re)donne(ra) voix à des paroles libres et sans entraves, jouissives. Non dans la nostalgie d’une époque qu’au demeurant le collectif F71 n’a pas vécue, mais dans la projection d’une utopie à venir .

Jean Pierre Thibaudat